Ils souhaitent obtenir des excuses pour la déportation des Acadiens
Des avocats louisianais à Montréal


Jean Breton
LE BARREAU


15 juin 2001


Papa, est-ce que tu veux dire que nos ancêtres étaient des criminels ? »
Quand l'avocat louisianais Warren A. Perrin a dû répondre par l'affirmative à la question que lui posait son fils de 8 ans, après avoir écouté avec attention l'histoire de la déportation des Acadiens, il a subitement réalisé qu'il fallait que les choses changent. En 1990, Me Perrin a commencé à faire circuler une pétition pour obtenir des excuses de la Grande-Bretagne pour la déportation des Acadiens de la Nouvelle-Écosse, il y a près de 250 ans.

Me Perrin, a présenté sa démarche en faveur du respect des droits des Acadiens dans le cadre du Symposium de droit civil international Allen M. Babineaux qui s'est à tenu à Montréal, à la Maison du Barreau, du 8 au 12 mai dernier.

Sous le patronage du Comité pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL) et de la Section francophone du Barreau de la Louisiane, cette rencontre de formation continue a réuni, outre Me Perrin, l'Attorney General de la Louisiane, Richard Ieyoub, les juges Ward Fontenot, Herman Clause, Gaynor Soileau et Perrell Fuselier ainsi que les avocats Louis Koerner Jr, Jay Zainey, John Litchfield et John A. Hernandez III.

En plus des ateliers portant sur différents sujets d'intérêt pour les juristes de la Louisiane, le programme du symposium prévoyait un bref séjour à Québec, où les visiteurs ont assisté à un procès et visité les Archives nationales du Québec, ainsi que des rencontres avec des collègues québécois.


« Lâche pas la parole »
Parallèlement à son métier d'avocat, Me Perrin n'a jamais cessé de militer en faveur de la langue et de la culture des Louisianais d'origine acadienne, aujourd'hui appelés les Cajuns. Il a d'ailleurs créé son propre musée consacré au mode de vie et à l'histoire de ces ancêtres. Président du CODOFIL depuis 1994, il est le principal porte-parole de la francophonie louisianaise dans son pays et à travers le monde.

« En 1963, rappelle-t-il, un article du magazine Life prédisait que plus personne ne parlerait français en Louisiane au tournant du siècle. Vous savez, on a une expression chez nous qui dit: " Lâche pas la patate ". Ce qui veut dire qu'il faut toujours avancer, ne jamais abandonner. Et moi je peux vous dire qu'on ne lâchera jamais la parole en Louisiane. »


Mettre fin à l'exil des Acadiens
C'est avec la même conviction que Me Perrin affirme qu'il est grand temps de mettre un terme à cet « exil sans fin » des Acadiens, évoqué dans le poème Évangeline de Henry W. Longfellow.

De 1755 à 1762, exécutant des ordres qui émanaient de Londres, les autorités de la Nouvelle-Écosse ont déporté 15 000 Acadiens, lesquels étaient devenus sujets britanniques à la signature du Traité d'Utrech, en 1713. Le tiers d'entre eux périrent au cours de l'opération. L'ordre d'exil est demeuré en vigueur après la signature du Traité de Paris qui, en 1763, a mis fin aux hostilités entre la France et l'Angleterre.

Pour Me Perrin, les Acadiens n'auraient jamais dû être exilés comme des criminels. Ainsi, croit-il que la Grande-Bretagne a l'obligation morale de reconnaître ses torts.

En substance, sa pétition demande trois choses: la reconnaissance qu'un tort a été causé et la présentation d'excuses, une réconciliation avec le gouvernement britannique et la Couronne et, finalement, l'annulation de l'ordre d'exil assortie d'une déclaration à l'effet que l'exil est bel et bien terminé. Me Perrin fait remarquer que la pétition ne contient pas de demande de compensations financières.

« Ma pétition n'est pas nouvelle, explique-t-il. Elle reprend sensiblement les termes de la pétition préparée en 1760 par des Acadiens exilés à Philadelphie. » À l'époque, le roi George II avait tout simplement refusé de recevoir la délégation acadienne envoyée à Londres. Il n'a pas pris connaissance de la requête et l'ordre de déportation n'a jamais été annulé.


Des précédents historiques
Selon Me Perrin, il n'est jamais trop tard pour annuler une loi. Il donne pour exemple le cas de l'État du Mississippi qui, en février 1995, a annulé une vieille loi qui permettait l'esclavage. Pour sa part, le gouvernement canadien se penche actuellement sur l'abrogation d'une loi vieille de 244 ans qui accorde une prime pour un « scalp d'Indien »! La pétition de Me Perrin demande quant à elle l'annulation d'une loi qui, « techniquement », interdit aux Acadiens d'habiter la Nouvelle-Écosse... sous peine de mort.

Pour l'avocat louisianais, il n'est pas trop tard non plus pour demander et recevoir des excuses. Les précédents ne manquent pas non plus en ce domaine. Au cours des dernières décennies, plusieurs pays, dont la Grande-Bretagne, ont eu à rendre des comptes sur les aspects les plus sombres de leur histoire. En juin 1995, par exemple, la reine Elizabeth II a présenté des excuses et a signé une traité de réconciliation avec les Maoris de la Nouvelle-Zélande.

Dans l'éventualité où la Grande-Bretagne refuserait de présenter ses excuses et d'annuler l'ordre d'exil des Acadiens, Me Perrin envisage de porter la cause devant la Cour européenne des droits de l'homme qui, a-t-il souligné, a déjà rendu trois décisions contre la Grande-Bretagne.


De nombreux appuis à la pétition
La conférence de Me Perrin a été suivie des témoignages d'appui de David Le Gallant, historien acadien de l'Île-du-Prince-Édouard, et de Stéphane Bergeron, député fédéral de Verchères-Les Patriotes, dont les ancêtres sont Acadiens.


L'historien acadien, David Le Gallant
En février dernier, le député Bergeron a d'ailleurs déposé une motion à la Chambre des Communes: « Qu'une humble adresse soit présentée à son Excellence la Gouverneure générale du Canada, la priant d'intervenir auprès de Sa Majesté afin que la Couronne britannique présente des excuses officielles pour les préjudices causés en son nom au peuple acadien, de 1755 à 1763 ».

La pétition de Me Perrin a reçu plusieurs autres appuis depuis sa mise en circulation. En Nouvelle-Écosse, le sénateur Gérald Comeau appuie la pétition ainsi que la Société nationale de l'Acadie dans ses efforts pour obtenir des excuses de la Couronne britannique. Aux États-Unis, les législatures de la Louisiane et du Maine ont déjà voté des résolutions en sa faveur et, à l'heure actuelle, le sénateur louisianais John Breaux prépare une résolution qu'il entend présenter au Sénat américain afin que les États-Unis demandent à la Grande-Bretagne de se prononcer sur la pétition.



Source: « The Petition to Obtain an Apology for the Acadian Deportation: Warren A. Perrin et al Versus Great Britain, et al », Southern University

Law Review, Fall 1999, Volume 27, No 1.

volume 33 - numéro 11 - 15 juin 2001